Le Livre des Morts égyptien
Pour les Égyptiens, la mort ne représentait pas la fin de l’existence, mais un passage vers autre chose, vers un au-delà d’éternité. Mourir, c’était renaître.
Mais, ô combien était difficile la transition. Il fallait mériter sa « place au paradis », en triomphant d’une série d’épreuves. C’est là que le Livre des Morts prenait toute son importance. Sans lui, le défunt risquait de se perdre à tout jamais et ne jamais accéder à l’ultime étape : le tribunal d’Osiris.
Aux origines du Livre des Morts
Tout d’abord, il faut savoir que le nom de « Livre des Morts des anciens Égyptiens » nous vient de l’égyptologue allemand Karl Richard Lepsius. Dans l’Égypte Antique, le recueil portait le nom de « Livre pour sortir au jour« . Dans ce contexte, « sortir au jour » signifiait renaître, atteindre la lumière, accéder à la vie éternelle.
On estime que le Livre des Morts a commencé à être mis en forme durant la Deuxième Période intermédiaire, soit entre -1780 et -1550. Mais ses origines sont bien plus anciennes, puisqu’il est l’héritier de deux autres recueils fondamentaux : les Textes des Pyramides et les Textes des Sarcophages.
Les Textes des Pyramides sont les plus anciens écrits religieux connus à ce jour. On fait remonter leurs origines à la pyramide du roi Ounas, un pharaon de l’Ancien Empire ayant régné aux alentours de – 2350. Sur les murs de son tombeau, on trouve plus de 220 formules en écriture hiéroglyphique qui racontent, entre autres, le voyage du roi vers le ciel. En effet, à cette époque, les morts séjournaient dans le ciel, près du soleil et des étoiles. La notion de royaume souterrain apparaîtra plus tard.
Les Textes des Sarcophages, eux, rassemblent les formules qui ont été découvertes à l’intérieur de sarcophages, durant le Moyen Empire (~ 2065 – ~ 1735). Il s’agit de textes qui s’inspirent des Textes des Pyramides mais qui leur adjoignent une dimension plus « populaire », en « démocratisant » l’au-delà, jusqu’alors apanage de la famille royale (le roi puis, plus tard, la reine). Attention, cela ne veut pas dire que tout le monde avait soudain accès à l’éternité, on parle de moins d’1% de la population.
L’autre grande spécificité des Textes des Sarcophages, c’est qu’ils comportent davantage de formules que les Textes des Pyramides. Le défunt devait donc faire un choix, au moment de faire graver son cercueil.
L’un des Textes des Sarcophages les plus connus est le « Livre des deux chemins« , que l’on a retrouvé inscrit sur plusieurs cercueils, à proximité de la ville d’Hermopolis. Daté de – 2050 environ, il figure le trajet – sur terre et sur mer – que devait accomplir le défunt pour rejoindre Horus l’Ancien. L’épreuve ultime était un terrible cercle de feu, que seule une âme pure pouvait franchir.
Le Livre pour sortir du jour, ou Livre des Morts, est l’héritier de ces deux traditions. Mais, on le distingue de ces prédécesseurs, car il apporte plusieurs nouveautés.
Déjà, à partir de la XVIIIème dynastie (-1550 -1292), les formules ne sont plus exclusivement inscrites sur les murs des tombeaux ou les cercueils, mais sur des rouleaux de papyrus. La conséquence, c’est un accès beaucoup plus large aux rites funéraires, notamment au profit de la classe moyenne : scribes, prêtres, militaires, etc.
Cette évolution touche également l’écriture, puisque l’on va désormais utiliser l’écriture linéaire, une version simplifiée des hiéroglyphes. Puis, à partir de la XXIème dynastie, on va finir par utiliser le hiératique, une écriture qui supprime le sens figuratif des hiéroglyphes.
L’autre nouveauté du Livre des Morts, c’est un important effort de « mise en page » des formules, qui sont désormais écrites dans des colonnes, délimitées par des lignes noires. On ajoute également de la couleur dans le récit, en inscrivant les titres, les passages importants et le nom des divinités en rouge. Enfin, une place primordiale est donnée aux illustrations, dont une qui va marquer les esprits jusqu’à nos jours : la pesée du cœur, dans le tribunal d’Osiris.
Le parcours dans l’au-delà
Suivant la tradition initiée par l’égyptologue Paul Barguet, on a pris l’habitude de découper le Livre des Morts en 4 parties, dont chacune débute par une formule numérotée spécifique : 1, 17, 64 et 130.
Pour le défunt, le début du voyage commence par la momification. Il s’agit d’un rituel qui vise à la fois la préservation du corps, intimement lié au ka, et la libération du ba.
Concernant le ka, il s’agit d’une sorte de double immatériel de l’être, qui apparaît à la naissance et représente notre énergie vitale. Quand survient la mort, il y a rupture, mais le ka demeure près du corps, dans la tombe. C’est pourquoi il faut à tout prix conserver le corps du défunt et lui apporter des offrandes régulières, sous peine de priver le ka de son support matériel.
De son côté, le ba incarne une composante plus libre de l’être. À la mort du défunt, il est libre d’aller et venir entre le monde humain (la tombe) et le monde des divinités. Dans les illustrations, il est représenté par un oiseau à tête humaine.
La momification achevée, le défunt rejoint la Douât, le lieu de séjour des morts. La Douât est un lieu très important dans la mythologie égyptienne, puisque c’est dans ce royaume souterrain que, chaque nuit, le dieu Rê affronte le serpent Apophis.
Rejoindre la Douât, c’est donc suivre les traces du dieu solaire. Le défunt pénètre dans un monde de ténèbres, où une série d’épreuves l’attend. Comme Rê, il doit en sortir vainqueur, sous peine de voir le chaos l’emporter et sa résurrection lui échapper.
C’est grâce aux formules tirées du Livre des Morts que le défunt parvient à échapper au terrible Apophis. Poursuivant son voyage, il bénéficie du rituel de l’ouverture de la bouche, ce qui lui permet de s’exprimer, de s’abreuver et de se nourrir, comme il le faisait de son vivant. Il retrouve également son ren, son nom, ainsi que son cœur.
Après avoir vaincu divers ennemis (insectes, crocodiles, etc), le défunt entre dans une phase primordiale : le sortir au jour. Lors de cette étape, le défunt renaît. Son ba peut sortir de la tombe et lui-même se redresse, libre de quitter le monde souterrain. Il va alors faire la rencontre de diverses divinités, prouver ses connaissances magiques auprès du Passeur et rejoindre son ka, afin de profiter des offrandes présentes dans sa tombe.
Vient alors l’heure de l’ultime épreuve : le jugement de l’âme.
La pesée du cœur devant Osiris
La dernière épreuve présentée dans le Livre des Morts est sans nul doute la plus connue de toutes : il s’agit de la pesée du cœur, dans le tribunal d’Osiris, qui doit déterminer si l’âme du défunt est pure ou non.
Dans la mythologie égyptienne, Osiris tient une place de choix. Roi légendaire de l’Égypte ancienne, il aurait introduit l’agriculture et la religion auprès du peuple. Bienfaisant, il meurt noyé dans le Nil, suite à un complet mené par son frère Seth. Démembré, il est ramené à la vie par la magie de sa sœur-épouse, Isis. Divinisé, il devient le souverain du royaume souterrain, la Douât.
En vérité, le tribunal d’Osiris s’inspire de traditions antérieures, présentes dans les Textes des Pyramides et les Textes des Sarcophages. Dans la version la plus ancienne, c’est Seth, l’assassin d’Osiris, qui doit répondre de ses actes, devant un tribunal présidé par Geb, le père d’Osiris. La symbolique est différente puisqu’il s’agit de juger la mort, dont Seth est l’incarnation. Le défunt est alors assimilé à Osiris et, grâce à ce procès, il combat le mal que représente la mort et rétablit la justice.
À l’époque des Textes des Sarcophages, la mort est également perçue comme un ennemi à vaincre mais, cette fois-ci, c’est le défunt lui-même qui va se rendre au tribunal, sous la forme d’un homme-faucon. En colère, le défunt est désormais assimilé à Horus, le fils d’Osiris, qui défendit son père contre Seth. Dans cette version, le défunt n’est pas parfait. Il a commis des fautes mais le tribunal lui pardonne, après que le mort se soit justifié en disant qu’il était trop jeune pour faire la distinction entre le bien et le mal.
Dans le Livre des Morts, le rapport de force est clairement inversé, puisque c’est dorénavant le défunt qui est présenté comme l’accusé (et non plus la mort) et c’est lui qui va devoir prouver son innocence. Pour ce faire, on va accomplir le rituel de la pesée du cœur. Le défunt doit déposer son cœur (siège de la conscience et de la mémoire) sur un plateau, tandis que sur le second, se trouve une plume d’autruche, symbole de la déesse de la justice Maât.
Son cœur sur la balance (littéralement), le défunt est présenté à Osiris. Le mort demande à la divinité de lui accorder le statut d’akh, une forme que seuls les défunts ayant réussi les épreuves de l’au-delà peuvent obtenir. Devenir akh, c’est échapper à la seconde mort, à la damnation. Ceci fait, le défunt doit ensuite s’adresser à tous les juges présents et leur affirmer qu’il n’a commis aucun des 42 péchés : « je n’ai tué personne », « je n’ai pas dit de mensonge », « je n’ai pas insulté le roi », etc.
Enfin, c’est l’heure du verdict. On se rapproche de la balance, près de laquelle est apparue une créature terrifiante : Ammout. Dotée d’un corps d’hippopotame, de pattes avant de lion et d’une tête de crocodile, Ammout est celle qui dévore les défunts jugés indignes de rejoindre l’au-delà, ceux dont le cœur pèse plus lourd que la plume de Maât.
À l’inverse, si le cœur du défunt est jugé pur, il peut achever sa renaissance et rejoindre les Champs d’Ialou. Les Champs d’Ialou, ou Champs des Roseaux, sont l’équivalent du Paradis, mais à la sauce égyptienne. On les représente comme de grands champs fertiles, entourés de canaux d’irrigation. Pour se déplacer, les défunts utilisent des barques.
Dans ce monde parfait, la vie est simple : le défunt retrouve sa maison et tous ceux qui sont morts avant lui (sa famille, ses animaux de compagnie, etc). Ensemble, ils mangent, boivent et poursuivent leurs passe-temps favoris. Bref, ils profitent d’un repos éternel bien mérité.
Enfin… pas toujours. Parfois, il y a quelques corvées à faire et, comme cela se faisait du vivant des défunts, le souverain des lieux, Osiris, peut exiger que l’on travaille pour lui. Forcément, ça ne plaît pas à tout le monde, surtout à ceux qui jouissaient d’une position privilégiée de leur vivant. Franchement, quelle plaie de devoir passer une partie de son immortalité à semer du blé et à traire des vaches…
Pour y échapper, une solution existait : faire appel à des serviteurs. Appelés ouchebtis ou chaouabtis, cette main d’œuvre gratuite était représentée par de petites statuettes, que l’on plaçait dans la tombe du défunt. Ainsi, à chaque fois qu’Osiris vous demandait de travailler, hop, une petite formule magique bien placée et un ouchebti apparaissait dans l’au-delà, pour faire le sale boulot à votre place !
Après tout, comme l’au-delà égyptien se voulait la copie du monde terrestre, il paraît logique que les inégalités sociales se soient poursuivies, même après la mort…
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D’ailleurs, si l’Histoire égyptienne vous intéresse, j’ai une vidéo consacrée au pharaon Akhenaton : la vidéo !
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