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L’expédition de la Pérouse (1785) : un tragique tour du monde

1785. Deux frégates, la Boussole et l’Astrobale, partent de Brest pour effectuer le tour du monde. 3 ans après le départ, la Pérouse et les autres membres de l’expédition cessent de donner signe de vie.

Que leur est-il arrivé ?

Jean-François de La Pérouse

Gravure G. B. Bosio – D. K. Bonatti

Jean-François de Galoup, comte de la Pérouse, est né près d’Albi en 1741. Fils d’une famille noble, il s’engage dans la Marine royale lors de la Guerre de Sept Ans. Il a alors 15 ans.

La Guerre de Sept Ans, c’est en fait la véritable première guerre mondiale, en ce sens où elle oppose 2 systèmes d’alliances – France + Autriche VS Grande-Bretagne + Prusse – et se déroule sur plusieurs continents. La guerre a lieu entre 1756 et 1763.

En 1759, blessé, La Pérouse est fait prisonnier par les Anglais, avant d’être presque immédiatement échangé.

En 1764, La Pérouse est promu enseigne de vaisseau, un grade militaire immédiatement en-dessous de celui de lieutenant. Jusqu’en 1769, il est affecté au transport maritime, avant d’embarquer dans diverses expéditions, notamment à Saint-Domingue (Haïti) et dans les mers de l’Inde.

Le 4 avril 1777, il devient lieutenant de vaisseau. Il effectue encore deux voyages aux Indes orientales. Là, il rencontre sa future femme, Eléonore Broudou. Entre 1778 et 1783, La Pérouse participe à la Guerre d’indépendance des États-Unis, la France se rangeant du côté des insurgés américains.

On retient surtout le rôle que joue le comte lors de la bataille navale de Louisbourg, le 21 juillet 1781 ; une bataille navale qui se solde par l’attaque de convois britanniques et la mise en fuite des Anglais par deux vaisseaux français.

L’Astrée. Par Auguste Louis de Rossel de Cercy,

Suite à Louisbourg, La Pérouse est envoyé en mission à la baie d’Hudson, afin de détruire les forts de la Compagnie locale, qui gère le commerce des fourrures. Capitaine de vaisseau, le comte parvient à dompter les mers hostiles et à obtenir la reddition des Anglais (sans vouloir dénigrer les mérites du comte, il faut quand même préciser que ceux qui étaient chargés de garder les forts de la Compagnie n’étaient pas des soldats mais des marchands et des ouvriers).

Victorieux, La Pérouse rentre auréolé de gloire en France. Décrit comme un navigateur hors pair, il est également salué pour ses bons traitements envers les prisonniers, en particulier avec Samuel Hearne, un explorateur anglais que La Pérouse a capturé au Fort Prince-de-Galles. C’est aussi au cours de cette expédition (qui, d’ailleurs, n’a eu aucun impact sur le déroulé de la Guerre d’indépendance des États-Unis) que La Pérouse rencontre Paul Mérault Monneron et Paul Fleuriot de Langle, avec qui il préparera l’expédition monumentale de 1785.

Les préparatifs de l’expédition de 1785

Louis XVI donnant ses instructions au capitaine de vaisseau La Pérouse pour son voyage d’exploration autour du monde, par Nicolas-André Monsiau (1817)

Pour évoquer les préparatifs de l’expédition de 1785, étudions ensemble le tableau de Nicolas-André Monsiau ci-dessus. La scène se passe le 29 juin 1785.

A l’instigation de l’œuvre picturale, on trouve Louis XVIII. Celui-ci reprend le projet inachevé de son frère aîné, Louis XVI, qui avait été particulièrement investi dans les préparatifs de l’expédition de La Pérouse. L’idée politique (tout art procède d’une volonté sous-jacente) est de rendre justice au roi guillotiné, qui a toujours cherché à faire progresser les connaissances scientifiques de son temps, en particulier dans le domaine géographique.

Ainsi, c’est Louis XVI en personne qui montre à La Pérouse la route maritime que le navigateur devra suivre. On sait de source sûre que Louis XVI avait étudié les expéditions de Bougainville dans les années 1760 et celles de James Cook lors de la décennie suivante. C’est sur cette base que le roi a aidé à dessiner les plans du voyage.

Les objectifs sont les suivants : compléter les cartes de Cook (en particulier celles de l’Océan Pacifique), ouvrir de nouvelles voies de commerce vers l’Extrême-Orient, développer les connaissances scientifiques (il y aura une vingtaine de scientifiques à bord des deux frégates) et enquêter sur la nouvelle colonie anglaise (la future Australie). Il est explicitement indiqué de ne pas malmener les populations indigènes (rappelez-vous, nous sommes au XVIIIème siècle, l’époque des Lumières et des idées humanistes).

L’homme en arrière plan, qui tient un tas de papiers dans sa main gauche, est le maréchal de Castries. Charles Eugène Gabriel de La Croix de Castries est le ministre de la Marine. Comme son nom à rallonge le laisse supposer, de Castries n’est pas n’importe qui. Il est l’héritier d’une famille noble de Montpellier. Avec de Fleurieu, il est celui qui a élu La Pérouse à la tête de l’expédition de 1785. Les feuilles que le maréchal tient à la main sont les instructions, annotées de la main de Louis XVI, qui seront remises à La Pérouse.

La Pérouse, lui, est représenté dans son uniforme bleu et rouge de capitaine de vaisseau (conformément à l’ordonnance du 14 septembre 1764 qui impose le port de l’uniforme), les galons et les broderies étant des ajouts évoquant la noblesse de leur possesseur. De sa main droite, il tient le bord de la carte où sont reconnaissables le Grand océan austral (l’océan Indien) et le continent africain. Il a, comme tous les autres personnages, le regard braqué sur Louis XVI. Sa main gauche, elle, serre son tricorne, chapeau très en vogue au XVIIIème siècle.

Derrière La Pérouse, on trouve deux hommes, des témoins. Sur la table, un magnifique globe terrestre rappelle l’objectif principal de l’expédition : effectuer un voyage autour du monde. C’est à bord de la Boussole, et accompagné de Fleuriot de Langle, le capitaine de l’Astrobale, que La Pérouse quitte le port de Brest, le 1er août 1785.

L’aventure commence !

L’Astrolabe et la Boussole au mouillage probablement en Alaska en 1786.

Quand l’Astrobale et la Boussole quittent Brest, les deux frégates comptent environ 220 personnes à bord, dont une vingtaine de scientifiques. Parmi ces derniers, on trouve Joseph Lepaute Dagelet, astronome, Jean-André Mongez, naturaliste, ou encore Simon Pierre Lavaux, chirurgien. Comme l’expédition doit durer 4 ans, il faut embarquer des provisions suffisantes. En plus de meules à grain et d’ustensiles de cuisine, on emporte environ 600 animaux à bord des frégates ! Autre détail d’importance : on s’efforce de rassembler un maximum d’aliments contenant de la vitamine C, afin de lutter contre un fléau mortel : le scorbut.

Affiche par Pfizer.

Le scorbut, la « peste des mers », est une maladie qui a particulièrement sévi entre les XVIème et XIXème siècles (attention, cela ne veut pas dire qu’elle a aujourd’hui disparue, c’est même plutôt l’inverse). Se traduisant par une carence en vitamine C, le scorbut est très virulent à la Renaissance, quand les techniques de navigation permettent de voyager des mois, voire des années durant. Ainsi, chez les équipages de Vasco de Gama et de Magellan, le scorbut fait des ravages, en général au bout de 3/4 mois de périple, tuant les trois quarts des marins.

Au fil des épidémies, les navigateurs remarquent que les escales permettent de faire reculer la maladie. En particulier quand des produits frais sont consommés, surtout des agrumes. Malgré cette relation établie, il est difficile de résoudre le problème, puisque les techniques de conservation des fruits et les problèmes de logistique persistent. Petite anecdote rigolote : James Cook, le célèbre navigateur anglais, résout l’équation en transportant des barils entiers de choux fermenté (la fameuse choucroute), facile à conserver et riche en vitamine C, lors de son expédition dans le Pacifique Sud ! Claude Nicolas Rollin, chirurgien à bord de la Boussole, s’inspire de Cook et incite à des escales fréquente, ainsi qu’à une hygiène de vie exemplaire.

Le tour du monde !

Carte du voyage de Lapérouse, Jacques Liozu, 1941, Musée Lapérouse.

Parties de Brest le 1er août 1785, l’Astrobale et la Boussole franchissent facilement le cap Horn (l’extrémité sud du continent américain), avant d’accoster à la baie chilienne de Concepción le 23 février 1786. Par la suite, les équipages font halte à l’île de Pâques, aux îles Sandwich (Hawaii), avant de remonter jusqu’en Alaska et d’arriver, le 14 septembre, à Monterey, en Californie. Il va s’en dire que chaque escale est l’occasion d’effectuer des prélèvements scientifiques, d’échanger avec les populations locales (quand elles ne sont pas hostiles) et de se réapprovisionner en denrées essentielles.

C’est au large de l’Alaska que se produit le premier drame de l’expédition. 21 marins perdent la vie, leurs chaloupes s’étant trop approchées de la passe de la baie Lituya. C’est l’embarcation de Charles Gabriel Morel d’Escures qui, la première, est avalée par la houle. Pour porter secours à ses camarades, De Marchainville approche la chaloupe dont il a le commandement, avant d’être à son tour submergé. La troisième embarcation, menée par Boutin, fait demi-tour, la mort dans l’âme.

Naufrage des Canots de La Pérouse au Port des Français Tableau de Louis-Philippe Crépin, 1806.

En janvier 1787, La Pérouse entre à Macao, avant d’atteindre Manille, puis de remonter le long des côtés asiatiques, « découvrant » au passage le détroit qui sépare l’actuelle Hokkaïdo japonaise de l’île russe de Sakhaline, détroit qui porte encore le nom du navigateur. Le 7 septembre, les équipages font une escale très importante au Kamtchatka.

Là, au cours d’une grande réception, La Pérouse reçoit une promotion, ainsi que des lettres de France. L’interprète et diplomate Barthélemy de Lesseps débarque, avec pour mission de rejoindre Versailles, chargé des journaux, cartes et notes que lui remet La Pérouse. Si le voyage, étalé sur 13 mois, sera périlleux, il va sauver la vie du jeune prodige.

Barthélemy de Lesseps :

Suivant les instructions reçues de France, La Pérouse et les deux frégates repartent le 7 octobre 1787, afin d’aller espionner les Anglais, qui viennent d’établir une première colonie pénitentiaire, en Australie. Îles Samoa, îles Tonga, sont deux étapes, avant l’ancrage dans la Botany Bay, la même baie qui avait vu débarquer Cook, le 28 avril 1770, à bord de l’Endeavour. Botany Bay, c’est l’actuelle Sydney. Là, les Anglais et les Français font bon ménage (comme quoi, tout est possible à l’autre bout du monde). Le 10 mars 1788, l’Astrobale et la Boussole reprennent le large.

C’est dans l’archipel des Samoa que survient le second drame, entraînant la mort du commandant de l’Astrobale, Paul Fleuriot de Langle. Accostant sur l’île Maouna, à la recherche d’eau potable, Paul Fleuriot de Langle et ses hommes attendent la marée haute pour rejoindre la frégate. Soudain, ils sont encerclés par des indigènes de Tutuila (la principale île des Samoa). Recevant une pierre à la tête, de Langle tombe à l’eau, ce qui lance le début des hostilités. Onze marins sont tués, vingt sont blessés et le capitaine, blessé, achevé à coups de massue. Suivant les ordres de Louis XVI, La Pérouse refuse des représailles aux membres de l’équipage et reprend la route, direction l’Australie.

Les Navigateurs français: histoire des navigations, découvertes et colonisations françaises, Léon Guérin, Belin-Leprieur et Morizot, 1846

La fin tragique de l’expédition de La Pérouse

Monument élevé à Lapérouse à Vanikoro

Sans nouvelles de La Pérouse depuis trois ans, l’Assemblée constituante (en place depuis 1789) et Louis XVI décident d’envoyer une expédition à la recherche de l’Astrobale et de la Boussole. C’est le contre-amiral Antoine Bruny d’Entrecasteaux qui est chargé de cette mission, héritant de deux gabarres qu’il rebaptise la Recherche et l’Espérance. Accompagné de scientifiques, d’Entrecasteaux prend le commandement de la Recherche, tandis que l’Espérance est confiée à Huon de Kermadec.

Le départ a lieu le 29 septembre 1791, à Brest. Ce sont 219 hommes qui prennent la mer. Si l’objectif principal est de suivre les traces de La Pérouse et de comprendre ce qui est arrivé aux équipages de l’Astrobale et de la Boussole, le voyage est aussi scientifique. D’ailleurs, c’est surtout ce versant que la prospérité retiendra, tant le reste fut un échec.

Affaibli par le scorbut, le capitaine de Kermadec meurt le 6 mai 1793, alors que l’expédition atteint une seconde fois la Nouvelle-Calédonie. De Kermadec est enterré sur l’île de l’Observatoire, là même où les navigateurs ont rencontré des Kanaks anthropophages (cannibales). Raison pour laquelle aucun monument ne vient marquer l’emplacement de la tombe.

Comme il ne parvient pas à obtenir d’informations sur La Pérouse, d’Entrecasteaux décide de quitter la région le 10 mai. En passant à proximité de l’archipel des îles Santa Cruz (une partie des îles Salomon), un membre de l’équipage est tué par une flèche lancée par les autochtones. Sans le savoir, les navigateurs passent à proximité de l’endroit où l’expédition de La Pérouse a connu une fin tragique : Vanikoro (qui fait partie des îles Santa Cruz).

Atteint de scorbut, d’Entrecasteaux meurt le 21 juillet 1793, au large de la Nouvelle-Guinée. C’est à Surabaya (Indonésie) que s’achève l’épopée, entre les mains des Hollandais, alors maîtres des lieux.

Dumont d’Urville.

Finalement, c’est l’aventurier irlandais Peter Dillon qui découvre le lieu du naufrage (Manicolo, actuelle Vanikoro) en septembre 1827. Les objets d’origine européenne qu’il avait trouvé auprès des populations locales un an plus tôt seront reconnues par de Lesseps, quand les deux hommes se rencontrent à Paris.

L’officier de marine français Dumont d’Urville collecte à son tour de nombreux objets sur l’épave (oui l’épave au singulier car on ne trouve nulle trace de la Boussole). Selon les témoignages des autochtones, les deux frégates auraient été prises dans une tempête, l’une coulant, l’autre s’échouant à Vanikoro. Des survivants auraient alors fabriqué un navire avec les débris d’une des frégates. D’autres seraient restés, se mêlant aux indigènes. Des fouilles archéologiques récentes (1999) semblent confirmer cette version.

Ancre de l’Astrobale, Brest.

C’est dans les années 1960 que l’on commence à remonter des objets attribués à la Boussole. Enfin, en 2003, l’association Salomon retrouve le squelette presque complet d’un individu européen d’une trentaine d’années. On pense qu’il s’agirait des restes de l’un des scientifiques de l’expédition de 1785, peut-être le minéralogiste Jean-André Mongez ?

Allez voir cette page passionnante pour plus d’informations : l’inconnu de Vanikoro.

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Envie de découvrir un autre mystère ? Pourquoi ne pas lire l’article consacré à la mystérieuse fortune de l’abbé Saunière, une histoire qui a fortement inspiré l’auteur du Da Vinci Code !

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Merci d’avance et à bientôt, pour une nouvelle Histoire de l’Ombre… ❤

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