Tour du monde des cimetières (1)
Dans cet article, nous allons faire un petit tour du monde des cimetières à l’échelle planétaire. Certains parleraient de Dark Tourism, je n’aime pas spécialement ce terme.
Visiter un cimetière, c’est simplement flâner dans le(s) temps de l’Histoire…
Attention, présence de photos pouvant heurter la sensibilité (momies).
Le cimetière juif de Sarajevo
Le cimetière juif de Sarajevo, en Bosnie-Herzégovine, est vieux d’environ 500 ans. Il est situé sur les pentes d’une montagne, le Trebević. Non usité depuis 1966, il est l’un des plus importants cimetières juifs du sud-est de l’Europe. Il contient un peu moins de 4 000 tombes.
Le cimetière juif de Sarajevo va nous permettre de faire un petit point sur les traditions spécifiques à la religion juive. Déjà, il faut savoir que les cimetières juifs ne sont pas uniformes. Il existe différentes traditions, découlant de groupes ethniques particuliers. Les principales sont la tradition ashkénaze (Europe centrale et orientale) et la tradition séfarade (péninsule ibérique). Par exemple, chez les Ashkénazes, il est d’usage d’ériger des stèles dressées, alors que les Séfarades utilisent des dalles posées horizontalement.
D’une manière générale, les cimetières juifs sont des lieux d’inhumation. La crémation étant interdite, les Juifs voient dans le cimetière un lieu sacré, toute violation ou profanation n’en étant que plus cruelle. Alignées en rangs, les tombes peuvent faire l’objet d’un agencement minutieux, selon que le corps est celui d’une femme, d’un homme, d’un suicidé, d’un membre d’une tradition différente, … Une vieille coutume consiste à déposer une pierre sur la tombe, pour marquer son passage et montrer au défunt qu’il n’est pas oublié.
Sur la stèle, on trouve le nom du défunt dans la langue du pays mais également en hébreu, accompagné des formules d’usage. Les Séfarades adjoignent le nom hébraïque de la mère, les Ashkénazes celui du père. Outre ces gravures, on peut trouver l’étoile de David (qui, si vous ne le saviez pas, est un symbole antérieur à l’apparition du judaïsme), la Menorah (le chandelier à sept branches), les rouleaux de la Torah, le lion de Juda. Quelques familles, comme les Levi et les Cohen, ont des attributs particuliers. Il est toutefois très mal vu d’ajouter une photo du défunt à l’ensemble.
Pour en revenir au cimetière juif de Sarajevo, s’il est moins célèbre que celui de Prague, il est d’autant plus imbriqué dans l’Histoire qu’il a essuyé des tirs, lors de la guerre de Bosnie-Herzégovine, dans les années 1990. Il servait même de base avancée pour l’artillerie serbe de Bosnie-Herzégovine. En 1996, après la guerre, on a dû le déminer. Le cimetière contient également, depuis 1916, une guenizah. Une guenizah est un lieu d’enfouissement des textes sacrés devenus inutilisables (il est interdit de se débarrasser d’un document écrit contenant l’un des noms de Dieu).
Le cimetière d’Hollywood, USA
Le Hollywood Cemetery se situe sur une colline près de Richmond, dans l’état de Virginie, aux États-Unis. Établi en 1849, il est célèbre pour abriter les tombes de deux présidents américains : James Monroe (mort en 1831 et transféré au cimetière d’Hollywood en 1848) et John Tyler (mort en 1862), ainsi que celles de Jefferson Davis, l’unique président des États confédérés (une confédération qui a existé de 1861 à 1865, regroupant des États esclavagistes du Sud), de gouverneurs de la Virginie et d’une trentaine de généraux de la Confédération.
La construction du cimetière répond aux exigences de l’époque : désenclaver les cimetières urbains et réduire les risques de contamination (en étant trop proches des habitations, les cimetières posent le problème d’une contamination des eaux).
Vous vous dites sûrement : est-ce qu’il s’agit du cimetière regroupant les dépouilles des stars de Hollywood ? Eh bien, pas du tout. Hollywood vient de l’anglais holly (houx). Or, les collines choisies pour ériger le cimetière regorgeaient de houx. Explication très banale, désolée…
Parmi les monuments incontournables du cimetière se trouve la pyramide en granite. Mesurant 27 mètres, elle a été érigée en 1869, à la mémoire des milliers de soldats de la Confédération morts au combat durant la Guerre de Sécession (la démarche rappelle celle de nos monuments aux morts).
Puisque vous êtes sans doute comme moi, amateurs et amatrices de légendes, il en existe une concernant cette pyramide. On raconte que c’est un prisonnier qui aurait placé la pierre angulaire, au sommet de la pyramide, alors qu’aucun autre n’y était parvenu. Pour le remercier de sa dangereuse escalade, les autorités l’auraient libéré. A bon entendeur…
Autre monument déroutant, la statue d’un chien noir, qui garde la tombe d’une petite fille morte de la scarlatine en 1862. Il semblerait que la statue ait été préexistante à la tombe de Bernadine Rees (la fillette) mais qu’elle aurait été déplacée à ses côtés, évitant ainsi sa probable destruction lors de la Guerre de Sécession (1861-1865). Là encore, une légende court parmi les locaux, celle qui raconte que le chien aboie parfois, voire qu’il se déplace… Sur la photo, on peut voir que la tombe est régulièrement visitée. On y dépose des fleurs, des jouets, etc.
Et que serait un cimetière digne de ce nom s’il n’abritait la tombe d’un vampire ?
Au Hollywood Cemetery, c’est le mausolée de William Wortham Pool, un comptable ayant vécu entre 1842 et 1922, qui serait le lieu de villégiature du « Vampire de Richmond« . Selon une première légende urbaine, ce sont les ornements de la tombe (symboles francs-maçons, égyptiens et le double W, évoquant des canines) qui ont fait de Pool un vampire. Il aurait été forcé de fuir l’Angleterre dans les années 1800, démasqué.
Un second récit raconte qu’un esprit ancien aurait été dérangé par la construction d’un tunnel ferroviaire, dans le district de Churchill Hill, voisin du cimetière. Pour se venger, c’est lui qui aurait provoqué la catastrophe du 2 octobre 1925, quand le tunnel s’est effondré, tuant plusieurs travailleurs. Repéré dans le tunnel, il aurait été poursuivi sur une longue distance, avant de trouver refuge dans le mausolée de Pool.
Il semblerait que cette histoire ait une part de vérité puisque l’on suppose que la « créature » était en fait Benjamin F. Mosby, un pompier de 28 ans gravement blessé qui, s’il parvint à sortir du tunnel, succomba finalement à ses blessures et fut enterré au Hollywood Cemetery.
Les cercueils suspendus de Sagada, aux Philippines
Au nord de l’archipel des Philippines, sur l’île de Luzon, s’exerce une coutume funéraire peu commune : celle de suspendre les cercueils des défunts au-dessus du vide. La performance, vieille de 2 000 ans, persiste encore aujourd’hui (même si les conditions climatiques amènent peu à peu à son extinction, la plupart des cercueils s’écrasant au sol à cause du pourrissement du bois).
Sur l’origine de la pratique, il n’y a pas d’accord unanime. Il est intéressant de noter qu’elle n’est pas propre aux Philippines, puisqu’elle se retrouve aussi en Chine (en particulier chez l’ethnie Bo du Sichuan et du Yunnan) et en Indonésie. Dans ces contrées, la compréhension de la pratique reste également incomplète.
En Chine, l’ethnie Bo ayant disparu, les chercheurs sont forcés de supputer sur les raisons de cette coutume peu familière. L’explication mise en avant est celle du repos des défunts, que leur inaccessibilité rend intouchables (notamment par les animaux sauvages). On parle aussi d’un accès plus direct au Ciel et d’un lien plus étroit entre les ancêtres et les descendants. Parmi les 22 sites Bo parsemés dans le sud-ouest de la Chine, le plus célèbre est celui de la vallée de Matangba, près de Luobiao, dans le Sichuan.
En Indonésie, ce sont les Toraja, vivant sur l’île de Sulawesi, qui déposaient les restes de personnages illustres (chefs de village en priorité) le long des parois rocheuses. Dans la langue locale, la pratique porte le nom de liang tokek. Pour cette ethnie, les tombes sont la demeure des esprits des morts et ceux-ci veillent sur les vivants.
Parmi les spécificités indonésiennes, on peut relever le fait que les cercueils ont la forme d’un bateau, les erong, que les tombes sont gardées par des statues de bois représentant le mort, les tau-tau, et que l’on pense que la raison majeure de ces sépultures était la volonté d’empêcher les pilleurs de déposséder le défunt des biens enterrés à ses côtés.
Aux Philippines, comme ailleurs, le fait de suspendre les cercueils n’est pas la pratique funéraire la plus répandue. C’est une ethnie minoritaire, celle des Kankanaey, qui en sont les instigateurs. Le corps du défunt est embaumé en position fœtale, la croyance voulant que l’on quitte le monde de la même manière que l’on y est entré. Il n’est pas rare que le cercueil soit fabriqué de son vivant par son futur occupant.
Comme en Indonésie, la coutume ne concerne que les individus d’un statut supérieur, qui ont accompli des actes de bravoure ou fourni de précieux conseils à la communauté. Une fois le cercueil installé, soit le long d’une paroi rocheuse, soit dans une cavité naturelle, les Kankanaey croient que l’esprit du mort, l’anito, persiste et protège les vivants.
Sur le déroulé à proprement parler des funérailles, celles-ci s’étalaient sur plusieurs jours. D’abord, on plaçait le corps embaumé sur une chaise, devant la porte d’entrée de la famille, tout le temps du deuil. Ensuite, des garçons du village, spécialisés dans cette activité, venaient récupérer le corps, qu’ils plaçaient dans son cercueil, avant de le hisser sur la montagne, à l’aide de cordes et de poulies. La bonne hauteur atteinte, on déposait le cercueil sur deux pieux plantés directement dans la paroi rocheuse.
Les momies de Chauchilla, au Pérou
Si je vous dis Nazca, au Pérou, vous pensez sûrement aux lignes de Nazca, ces dessins grandeur nature visibles du ciel, fruits d’une civilisation pré-inca, ayant vécu aux premiers siècles de notre ère ? Rassurez-vous, on en parlera, mais, aujourd’hui, c’est le cimetière de Chauchilla qui va nous intéresser.
Chauchilla, c’est le nom d’un cimetière situé à une vingtaine de kilomètres au sud de la ville de Nazca, une région qui porterait bien le nom de no man’s land (en gros, on est au milieu d’un désert à l’aspect lunaire). Découvert dans les années 1920, le cimetière (qui s’étend sur 5 kilomètres) n’avait plus été utilisé depuis le IXème siècle.
C’est une civilisation pré-inca, dite civilisation Huari, qui est à l’origine du site, que l’on date du IIème siècle. Malgré les pillages (c’est la raison pour laquelle le touriste verra des bouts d’os éparpillés le long des chemins) et une protection étatique tardive (1997), les corps ont été admirablement préservés.
D’abord, il faut s’attarder sur l’emplacement du site. Chauchilla se trouve dans le désert de Nazca (aussi appelé désert de Sechura), une zone extrêmement chaude et aride qui a aidé à conserver les momies. Autre aspect primordial : les rites funéraires très élaborés des Huari. Les corps étaient recouverts de coton brodé puis peints à l’aide d’une résine.
Par la suite, les momies étaient enfouies dans des tombes faites de briques de terre. On pense que c’est la résine utilisée qui a empêché les bactéries et les insectes de détériorer les corps. De manière assez exceptionnelle, on a ainsi retrouvé des momies aux vêtements, cheveux et os quasi intacts, voire même des lambeaux de peau.
Il était courant de rassembler les membres d’une même famille dans une unique tombe, même si le site présente aussi des tombes individuelles. Autour des momies, placées en position accroupie, on a retrouvé de nombreuses offrandes. Si les poteries sont prédominantes, c’est parce que les huaqueros, les pilleurs de tombes, ont emporté toutes les pièces de valeur. Pour ce faire, ils n’hésitaient pas à arracher les tissus couvrant les momies et à éparpiller leurs restes au gré du vent.
Les mausolées de Tombouctou, au Mali
En juin 2012, les djihadistes détruisent, à coups de pioche et de burin et au nom de la lutte contre l’idolâtrie, les mausolées de Tombouctou, constructions vieilles de plus de 700 ans. Reconstruits, ils sont aujourd’hui sous la protection de l’UNESCO (inscrits sur la liste du patrimoine mondial en danger, comme pour les Bouddhas de Bâmiyân en Afghanistan, détruits à l’explosif par les talibans en 2001). Bâtis à la main, les mausolées de Tombouctou sont également menacés par les conditions climatiques, en particulier l’ensablement et la pollution (notamment plastique).
Surnommée « la citée des 333 saints », Tombouctou se situe à 1 000 kilomètres au nord de Bamako et elle aurait été fondée entre le XIème et le XIIème siècle. Aux limites du désert du Sahara, la ville, durant les XVème et XVIème siècles, est un florissant centre culturel, attirant des milliers d’étudiants désireux d’étudier auprès des oulémas musulmans, dans l’université-mosquée de Sankoré.
Spécialistes du Coran, les oulémas possèdent également des connaissances en astronomie, histoire, botanique… Ce sont ces savants et leurs écrits (les manuscrits qu’ils ont produits sont considérés comme de véritables trésors) qui feront, outre l’art religieux, la renommée de Tombouctou.
Les mausolées, ce sont les tombeaux de 333 saints musulmans. Ces saints sont considérés comme les protecteurs de la cité par les habitants. On peut les invoquer pour assurer un bon mariage, faire tomber la pluie, contrer la maladie. Parmi les 333, une vingtaine ont hérité de splendides mausolées, bâtis en terre crue et répartis dans l’espace urbain. Les plus visités sont ceux implantés dans les cimetières de Sidi Mahmoud et d’Alpha Moya.
Avant leur édification, on bénissait le sol et les maçons répandaient sept céréales dans les fondations. Les mausolées ont une hauteur variable, allant de 50cm à 2m50. Il n’est pas rare que le mausolée d’un saint important deviennent un lieu de pèlerinage, voire d’attractivité pour l’inhumation d’autres personnages prestigieux. Les descendants du défunt organisent, une ou deux fois l’an, des cérémonies incluant des lectures du Coran et l’aumône aux plus démunis.
Si l’article vous a plu, n’hésitez pas à laisser un commentaire et à demander une partie 2 🙂
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Merci d’avance et à bientôt, pour une nouvelle Histoire de l’Ombre… ❤
2 commentaires
Adeline
J’ai enfin pris le temps de lire cet article à tête reposée et j’ai appris plein de choses.
J’aime beaucoup me promener dans les cimetières, je trouve que c’est un lieu calme qui raconte plein d’histoires.
AudreyFeather
Merci d’avoir pris le temps 😀
Effectivement, ce sont des lieux chargés d’Histoire, un peu trop délaissés à mon avis…